Composer aujourd’hui

Le compositeur d’aujourd’hui confronté à l’ordinateur

Le débat s’enflamme à chaque fois qu’un progrès technique apporte un nouvel outil qui révolutionne une manière de faire, dans n’importe quel domaine, suscitant le scepticisme, voire même l’hostilité des « traditionalistes ».

L’avènement de l’ordinateur, tout en offrant une multitude de possibilités nouvelles dans la façon de travailler, pose également un défi au compositeur d’aujourd’hui : celui de dicter à la machine ce qu’il veut impérativement entendre, sans se laisser museler par elle. Pour moi, le fichier Finale est un peu ce qu’une maquette est à l’architecte : il faut imaginer dans son audition intérieure ce que le son pauvre et amusical de l’ordinateur va donner avec de vrais musiciens et de vrais instruments. Ce processus n’est finalement pas très différent de celui du travail au piano qui comporte la même nécessité d’imagination et le même risque (en tout cas pour les pianistes) de se laisser trop influencer par l’instrument.

La recherche de la musique intérieure passe par un instrument, la musique étant d’abord un phénomène sensoriel. Je ne crois pas beaucoup aux compositeurs qui prétendent travailler exclusivement à la table. Seuls de très rares génies de l’histoire de la musique l’ont fait vraiment (et encore !… voyez Ravel martelant pendant des heures les mêmes accords au piano jusqu’à ce qu’il ait enfin trouvé la solution, selon le témoignage de ses voisins). Les autres s’appuyent sur l’expérience sensitive inspirée par un instrument et lorsqu’ils ne travaillent vraiment qu’à la table, ils courent le risque d’accoucher d’une musique à la sécheresse intellectuelle ou qui ne fait qu’obéir à des règles déjà établies et donc académiques.

Pour ma part, je travaille exclusivement au piano toute la recherche thématique, harmonique et rythmique. Comme je ne suis pas pianiste, cela se fait « im Zeitluppen Tempo », ce qui me laisse le temps d’assimiler complètement le matériel de la composition en de nombreuses esquisses au crayon sur papier. C’est seulement lorsque cette étape est mûre que je passe à l’ordinateur pour assembler les esquisses selon « l’histoire » que je veux raconter. A ce moment du travail, je trouve que l’ordinateur est une aide précieuse pour prendre du recul, s’assurer de l’efficience de la forme et choisir les bons tempi. Il peut arriver que je trouve à ce moment-là l’une ou l’autre idée nouvelle pour corriger quelque défaut formel, mais cela reste assez limité.

Ce qui est à mon avis le plus important, c’est de « raconter une histoire », soit en suivant un texte qu’il faut mettre en musique (dans ce cas, j’essaie d’illustrer la nuance de chaque mot), soit en imaginant une sorte de libretto à la pièce que je suis en train d’écrire (même si ce libretto reste secret dans le cas d’une pièce instrumentale). En fait, je suis convaincu qu’une bonne « story » ne cessera de toucher l’auditeur si la musique est capable d’en traduire l’expression sans avoir recours à des effets qui, du reste, n’ont depuis longtemps plus rien de nouveau. Peu importe le langage que l’on choisit, qu’il soit modal, tonal ou atonal, l’essentiel est d’avoir une cohérence et surtout d’émouvoir…

Michel Rosset